C’EST PAS NOUS QUI LE DISONS !!!

ENQUÊTE
“Si l’un de nous a le Covid, on trinque tous”: quand des restaurants se muent en discothèques
A.I.
Publié HEBDOMADAIRE L’EXPRESS le 05/02/2022 à 17:00, mis à jour le 07/02/2022 à 09:27
L’EXPRESS

“Alors que les boîtes de nuit sont fermées depuis près de deux mois, certains bars et restaurants ont continué à faire vivre le monde de la nuit, parfois au mépris des règles sanitaires.

Bientôt deux mois qu’elles gardent portes closes. En raison des règles sanitaires, les boîtes de nuit sont fermées depuis le 10 décembre, et ce,
jusqu’au 16 février. Pour autant, les clubbeurs les plus téméraires savent qu’ils peuvent toujours trouver une solution de substitution dans certains
bars ou restaurants prêts à déroger aux règles sanitaires (comme le port du masque lors des déplacements) et au respect des gestes barrières.
Pauses cigarette au fumoir, corps entassés sur le dancefloor… Il est 2 heures du matin et la fête bat son plein dans ce bar situé en plein coeur de la
capitale. L’établissement s’est métamorphosé en discothèque au plus grand bonheur de ses convives. Collés les uns aux autres, sans masques, ils
entonnent avec ferveur un tube des années 80. Yves fait partie de ces clients qui bravent les interdits.

“Ils ont encore fermé les boîtes de nuit, il fallait bien qu’on se rabatte sur d’autres options pour sortir. Certains bars en font partie.” Après un passage sur la piste de danse, l’étudiant en informatique s’octroie une “pause clope” au coin fumeurs. “C’est blindé de monde ici. Si l’un d’entre nous a le Covid, on trinque tous”, lance Yves en plaisantant.

Un laxisme dont les exemples ne manquent pas, de Paris à la Côte d’Azur, ou encore à la montagne. “Notre clientèle aime jouer avec le feu” Julie, chanteuse pour des établissements à Paris et sur la Côte d’Azur, a vu les “restaurants festifs” se remplir en période Covid. “Le simple fait de manger
est passé au second plan. Aujourd’hui, les clients affluent dans nos restaurants, à la recherche d’un semblant de liberté”. Pianiste, guitariste, interprète ou DJ se relaient pour faire danser la clientèle de ces lieux haut de gamme. “On a régulièrement des personnes prêtes à payer cher pour s’octroyer ce moment de fête. Et quand tu as un client qui multiplie les grosses bouteilles, tu ne vas pas le fliquer pour lui dire de rester assis quand il veut danser”. Face à une demande “toujours plus importante”, les restaurateurs “n’ont pas la volonté d’entraver les règles, mais simplement l’envie de satisfaire leurs clients” assure Julie.

“Il faut être honnête, mis à part le contrôle du passe, nous ne respectons pas grand-chose”. Alban est serveur dans une station de ski connue pour “ses
festivités” et demande à ce que “l’hypocrisie cesse auprès des boîtes de nuit”. “Ici, il est arrivé que les clients grimpent sur les tables et enchaînent les
tournées de shooter avec nous. C’est comme une discothèque finalement”. À une certaine heure, le DJ de l’établissement dans lequel travaille Alban reçoit la consigne “d’augmenter la cadence pour lancer les hostilités”. Le saisonnier justifie ces “moments de fête” par une demande de “plus en plus folle”.

“La fermeture des discothèques a juste permis d’accentuer l’euphorie dans nos restaurants. Certains clients deviennent fous à l’idée de vivre un moment normalement interdit”. Face à de telles situations, il arrive que la police “débarque à l’improviste”. ” Dans ces moments-là on calme le jeu, on baisse le son et on s’en sort avec un avertissement. Le problème c’est que notre clientèle aime jouer avec le feu et réclame vite un retour à la normale, c’est devenu compliqué de leur dire non”.

Du côté des forces de l’ordre, “personne n’est dupe”. Le responsable de la police municipale sur place explique que “les festivités commencent à la nuit tombée”. “Pour notre part, nous officions jusqu’à 21h et jusque-là rien n’est à signaler, mais la nuit, la réalité est toute autre”.
Collaborant avec la gendarmerie, le chef de poste est tenu au courant des interventions nocturnes. “On sait qu’il y a 3 à 4 restaurants qui, la nuit arrivant, se transforment en discothèque avec DJ et tout ce qui va avec, je vous laisse imaginer”.

Dans ce cas précis, la politique de la ville, est “d’avertir une fois, puis de verbaliser” .”Les avertissements sont tombés, mais certains ont récidivé et ont donc été verbalisés. Le problème, c’est que tout est fait pour qu’il soit impossible de voir ce qu’il se passe à l’intérieur. Portes fermées, vitrages sans tain ou rideaux  tirés, ça doit les arranger”. Une problématique “nouvelle” pour le village, qui a vu arriver ces “restaurants festifs” durant l’année 2021. “Je ne sais pas s’il y a eu un effet “pandémie”, mais nous n’avons jamais eu autant d’établissements de ce genre dans la station”.

“Ils font leur beurre sur le malheur des autres” Patrick Malvaës, président du Syndicat National des Discothèques et Lieux de Loisirs dénonce une “incohérence totale de la politique gouvernementale”. “Nous avons tous vu sur les réseaux sociaux des vidéos de personnes les unes sur les  autres dans des restaurants et des bars alors que les boîtes étaient fermées. Cela prouve que les restrictions à l’encontre des discothèques sont ridicules et
insensées”. Pour lui, les différents établissements “ne sont pas logés à la même enseigne”. “En plus, les restaurants en profitent pour se refaire une santé en occupant notre créneau de nuit sans contraintes, ou du moins sans contrôle.

Il n’y a rien de normal à faire son beurre sur le malheur des autres”. Patrick Malvaës veut insister sur celui qui, selon lui, “est le seul responsable face à ces dérives” : le gouvernement. “Lorsqu’on voit l’euphorie dans ces nouveaux lieux de fêtes, pour moi on
peut dire que l’Etat est coupable de non assistance à personne en danger”.
“Depuis le 10 décembre 2021 (date de fermeture des discothèques), 106 amendes ont été délivrées pour ouverture irrégulière d’établissements recevant du public. À cela s’ajoutent 308 arrêtés de fermeture dont 15 concernent des discothèques”, explique le ministère de l’intérieur à L’Express.

Pas de quoi apaiser la colère de Patrick Malvaës.
“Aujourd’hui ce sont 300 discothèques, soit 1 sur 4, qui n’ont pas survécu à la crise et baissé le rideau. Pendant ce temps-là, tout le monde a pu continuer d’aller au restaurant ou au bar avec le passe de sa grand-mère”, conclut le syndicaliste.